Comme les pétales d'une marguerite by Isabelle Petit

Comme les pétales d'une marguerite by Isabelle Petit

Auteur:Isabelle Petit [Petit, Isabelle]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fiction
ISBN: 9782897814663
Éditeur: Éditions Hurtubise


18

ROSE

L’ennui avec les 2CV, c’est l’absence d’air conditionné. La deuche n’est pas la voiture idéale en pleine canicule lorsqu’on est pris dans un embouteillage monstre.

Rond-point de la place de l’Étoile: Paul sue son eau de baptême. Il faut dire qu’en plus de son extrême largeur et des douze artères qui le rejoignent, la circulation y est très rapide. Cela donne lieu, chaque jour, à plusieurs accrochages. Le monsieur de l’agence de location m’avait mise en garde: «Surtout, ne vous aventurez pas à la place de l’Étoile! Même les Parisiens de souche qui sont des conducteurs invincibles la redoutent.»

Force est d’admettre qu’il avait raison, le bonhomme! Bon, maintenant qu’on y est, on ne va pas rebrousser chemin. De toute façon, on voudrait virer de bord qu’on ne pourrait pas. Pare-chocs contre pare-chocs, la 2CV avance à pas de tortue. C’est la faute à un bouchon d’enfer!

Au lieu d’attendre patiemment dans leur voiture, les Français descendent et piquent une jasette. Ils doivent avoir l’habitude. Devant nous, deux hommes arborant chacun le chandail de leur équipe de football semblent avoir une altercation. Le Français claironne:

— On est les champions, on est les champions!

— Sciocchezze9! On vous a battus au premier tour de l’Euro. Viva l’Italia! fanfaronne l’Italien.

— Vous avez seulement profité de notre désavantage numérique.

— Basta! Vous n’avez jamais aussi mal joué. L’Italie est championne du monde en titre, elle est imbattable.

— Les Bleus gagneront la prochaine!

— Il se passera encore dix ans avant que cela n’arrive!

Exaspéré, Paul passe sa tête par la fenêtre.

— Hé, vous deux! Cela vous dérangerait d’avancer vos voitures au lieu de dire des conneries! C’est l’Espagne qui gagnera la prochaine Coupe du monde!

En Europe, on ne plaisante pas avec le football. Le chauvinisme est un sport national: qu’on soit gagnant ou perdant, on est forcément le meilleur et les autres, des ploucs ou des tricheurs.

Délaissant ces messieurs avec leur surplus de testostérone, je choisis de converser avec le gars assis dans la voiture d’à côté.

— Excusez-moi, monsieur, on voudrait parquer la voiture. Pouvez-vous m’indiquer le stationnement le plus proche?

— Hein? Vous voulez garer la voiture dans un parking?

Euh, est-ce qu’on parle la même langue?

— Les parkings, oubliez ça à cette heure-ci, ils sont tous pleins, m’avertit-il. Dites-moi, vous avez un drôle d’accent, vous! Vous ne viendriez pas du Québec? C’est vraiment marrant de vous entendre parler.

Grrr. Surtout rester polie. J’ai encore besoin de lui.

— Et le métro, il est où?

— Oubliez le métro, c’est la grève!

— Ah! C’est vrai, vous êtes toujours en grève en France, n’est-ce pas?

— Non, pas toujours. On est aussi souvent en vacances.

Un pince-sans-rire, le bonhomme.

Une demi-heure plus tard, la circulation reprend de la fluidité. Un coup de volant brutal vers la gauche me tire brusquement sur le côté. Paul écrase le klaxon en jurant:

— Hijo de puta10!

Tiens, quand il est fâché, il sacre en espagnol. Trop mignon.

— Los gabachos11 ne savent pas conduire. Ils sont d’une arrogance au volant!

— Si les Français ne savent pas conduire, je n’ose pas imaginer la conduite des Espagnols, le taquiné-je.



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